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Lettre de Marie Agnus, petite fille de Jean Agnus à Mme La Ministre des Armées 

Madame Florence PARLY
Ministre des Armées
14 rue Saint-Dominique
75007 PARIS

 

 

                        Montaigut sur Save, le 17 décembre 2018

 

 

Madame la ministre,

 

         Je m'appelle Marie Agnus.

         Je me permets aujourd'hui de vous écrire pour vous raconter l’histoire d’une petite fille. 
Elle a 8 ans, des boucles brunes tout autour du visage et des grands yeux verts ouverts sur le monde. Un jour, en se baladant avec son papa, cette petite fille a découvert qu'un vieux monsieur habitant à quelques dizaines de mètres de chez elle connaissait son grand-père. Une heureuse coïncidence on dirait puisque son père part immédiatement chez lui pour en parler. Dans le salon, il avait les yeux rouges comme lorsqu'il allumait le feu. Au bout d'un moment, après avoir parlé à voix basse de longues minutes, le vieux monsieur a regardé la petite fille et lui a proposé d'aller en haut voir un gros carton avec plein de vieux journaux qu'elle avait du mal à lire et des photos en noir et blanc. Pendant que les adultes parlaient, elle a fait un petit tas de photos et de quelques morceaux de journaux qui lui paraissaient importants parce qu'ils avaient plein de mots. Mais surtout, parmi tous ces mots, le nom de son grand-père.

         La petite fille et son père sont rentrés chez eux, et tout est redevenu comme avant, outre les aller-retours de son papa chez le vieux monsieur. Mais elle n'avait plus le droit de venir maintenant. Tant pis. Elle ferait son enquête toute seule de son côté.

         Contrairement aux grands, elle, avec ses yeux d'enfant, pouvait voir et parler à son grand-père. Tous les soirs pendant des années, elle attendait que ses parents pensent qu'elle dormait pour faire venir son grand-père. À côté de lui ont séjourné deux autres personnes : deux autres personnes décédées de sa famille. Elle discutait avec eux le soir, leur racontait sa journée, leur posait des questions, leur racontait des blagues. Jouant le jeu, ils lui donnaient des conseils et rigolaient même à ses blagues les plus mauvaises. Une fois le deuil fait, ils partaient. Mais son grand-père, lui restait là,  sans jamais parler. Elle avait beau insister, poser des questions, elle finissait même par s'énerver, pleurer, supplier dans la nuit, il restait là, le sourire aux lèvres, les yeux pleins de tristesse. La petite fille a grandi, le grand-père est resté. Elle s'est construite en tentant de combler un vide, juste là, au niveau du cœur, comme une pièce égarée qui laisse à jamais le puzzle inachevé.

         Cette petite fille, c'est moi. Je suis la petite-fille du lieutenant de vaisseau Jean Agnus, ingénieur machine de la Minerve, disparu au large de Toulon en janvier 1968. J'aurai bientôt 18 ans et je continue d'essayer de comprendre. On me dit que je lui ressemble, on me dit que je réfléchis de la même façon, que malheureusement pour moi, j'ai le même humour. En somme, que je ressemble à une ombre muette dans la nuit. Une ombre que j'ai chérie toute mon enfance, qui a été ma confidente, mais qui, contrairement aux autres, n'a jamais eu de voix.

         Il y a peu de temps ont été retrouvés le sous-marin argentin San Juan et ses marins décédés. Mais on n’a pas retrouvé la Minerve, sous-marin français. Alors moi, des années après, je continue tant bien que mal de tenter de faire mon deuil. Mais, alors que chacun va au cimetière pour la Toussaint, j'hésite encore quant au front de mer auquel faire face pour tenter de l'approcher.
 

La Minerve a disparu il y a 50 ans. Aujourd’hui, peut-être pourrait-on savoir où elle est. Peut-être. C’est une petite-fille de 8 ans qui vous le demande, avec toutes les familles des marins de la Minerve : aidez-nous à la retrouver.

Je vous prie d’agréer, madame la ministre, à mes respectueuses salutations,

 

Marie Agnus

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Pour Marie Agnus, son grand-père était ce jeune homme en photo dans la bibliothèque ou dans les albums de famille. Elle en a bien sûr entendu parler, comme de la Minerve, elle connaît son sabre de cérémonie, son uniforme ou son appareil photo qu'elle conserve encore aujourd'hui sur sa commode, dans sa chambre. Et elle se demande souvent encore pourquoi elle n'a pas eu la chance de le connaître. C'est un manque, permanent, qui fait sans doute écho au mien. Comme toutes les petites filles, elle ressent aussi ce que ressent son papa. Et elle l'exprime ici avec ses mots, sa justesse, et son émotion.

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