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Adresse du Président de l'AGASM, le Contre-Amiral Salles 

Nous voici rassemblés pour honorer, ce jour, 52 marins à jamais réunis en Méditerranée.

Le 26 janvier 1968, le sous-marin Minerve conclut avec succès neuf jours d’entraînement et de mise en condition. Le lendemain, à 07h30 et dans le sud de Toulon, il est à l’immersion périscopique, au schnorchel ; il parti­cipe à un exercice au profit d’un avion de patrouille maritime.

À 07h55, l’aéronef fait connaître au sous-marin qu’il annule l’activité en cours à partir de 08h00. Celui-ci accuse réception ; il a ainsi liberté de manœuvre. Ce sera le dernier contact.

Le sous-marin est attendu à Toulon, en soirée, à 21h00. À 20h00 puis à 23h00, l’officier de garde de l’escadrille demande aux sémaphores locaux s’ils ont eu un contact avec le sous-marin. Réponses sont négatives.

À 02h15 l’escadrille déclenche l’alerte par message officialisant l’absence de contact avec le sous-marin. Les recherches sont immédiatement entre­prises par d’importants moyens aériens et de surface. Infructueuses durant une semaine, elles sont abandonnées dans la journée du 2 février.

La commission d’enquête se verra confirmer la détection d’une implosion et obtiendra une idée plus précise de sa position ; les recherches par bathyscaphe seront, elles aussi, vaines. Les conclusions de la commis­sion sont émises au mois d’août. Celle-ci a analysé toutes les hypo­thèses pouvant conduire à l’accident : abordage, voie d’eau ou avarie de barre, ... sans pouvoir conclure avec certitude. L’hypothèse retenue sera : « bâtiment perdant l'immersion périscopique, pesé lourd et ayant embar­qué beaucoup d'eau de mer par son tube d'air ».

Le 8 février 1968, une cérémonie religieuse et militaire se déroule à Toulon; le général de Gaulle y honore l’équipage en ces termes :

"Des marins sont morts en mer. Ils étaient des volontaires. C'est-à-dire qu'ils avaient d'avance accepté le sacrifice et qu'ils avaient conclu un pacte avec le danger. "C'est pour cela, en particulier que le sous-marin "Minerve" a laissé au cœur de la France tout entière, un souvenir profond et à ses armées un exemple qui durera. Au nom de la Patrie, je salue leur mémoire et je suis sûr que de ce qu'ils ont voulu faire et de ce qu'ils ont fait sortira pour notre France quelque chose de fort comme ils l'avaient voulu. Vive la France."

Il nous revient aussi le devoir d’évoquer, ici, un fils de cette commune.

Jacques Malarme s’engage le 5 juin 1962 pour une durée de cinq ans. Le CAP de tourneur a joué, car le contrat courant est de trois ans et permet une découverte réciproque de l’individu et de la marine.

Un court passage « réglementaire » au centre de formation maritime d’Hourtin lui fait découvrir l’eau sur de lourds canots de bois à bord desquels mains et bras se durcissent sur le bois mort des avirons et se fonde déjà l’esprit d’équipage.

Il obtient alors, en équivalence, le brevet provisoire de mécanicien et il est envoyé à l’école des apprentis mécaniciens de la flotte à Toulon. L’école est au bord de la rade et, comme de nombreux apprentis, il a pu lors des pauses voir entrer et sortir bateaux gris et sous-marins. Ces derniers l’ont-ils influencé ?

En tout cas, le jeune matelot nanti du brevet élémentaire traverse la rade début novembre pour rejoindre la base sous-marine et le vieux Béarn. À l’équipage supplémentaire, visites médicales et passage au caisson valident l’aptitude puis embarquements en subsistance permettent de découvrir la vie à bord. Pour lui ce sera la Doris pendant deux mois. Suivront les cours à l’école de navigation, sous-marine d’où il sort en avril 1963 avec un précieux sésame, le certificat élémentaire de sous-marinier. La tenue bleue du matelot est désormais parée d’un petit sous-marin sur un rond métallique.

C’est à bord du « Morse », basé à Lorient, qu’il va vraiment se faire aux sous-marins. Affecté aux diésels dans la fonction de graisseur, il y connaît l’enfer au service des moteurs Schneider aussi brûlants que capricieux. À cette époque, l’activité des “Narval” est très soutenue, particulièrement en mer du Nord ou dans les parages des îles Féroé où les tempêtes se succèdent au rythme des dépressions. Discret, efficace, Jacques s’intègre parfaitement à l’équipage.

Mission particulière est confiée à cet équipage : celle de valider le centre d’oxygénation des sous-mariniers à la Condamine. Jacques est là : son intrépidité sur les pistes de ski lui vaut une réputation de “trompe la mort” et de “roi des gamelles” terminant ses parcours, en bas des pistes, couvert de neige de la tête aux pieds.

 

Le quartier-maître-chef débarque en septembre 1965 pour revenir à l’école des mécaniciens. Six mois de cours dans le  sud avant de repartir vers Cherbourg où, en février 1966, il pose son sac à bord du sous-marin Gymnote.

Le sous-marin est en fin d’armement et connaît un certain nombre d’essais de validation. Ce sous-marin sera celui qui permettra de valider la plupart des installations missiles des futurs SNLE. Le confort y est admirable : pas de bannette chaude, air conditionné ... et pas de schnorchel !

Le meilleur souvenir sera celui de la descente de Cherbourg à Toulon à l’été 1966. Un long transit en surface, car il importait de valider, dans la durée, le bon fonctionnement des groupes électrogènes.

À cette époque Jacques a un contrat de cinq années en cours. L’un de ses bons amis va terminer, quasi en même temps, son propre contrat de trois années. Jacques lui demande s’il serait d'accord pour reprendre avec lui le garage de son père à Wassy. L’idée convient, mais elle ne pourra aller au bout, car, avant la fin de son contrat, Jacques est promu au grade de second-maître. Cette promotion qu’il n’attendait pas l’amène à revoir ses plans : il décide de renouveler son engagement. En fin d’année il obtient le certificat supérieur de sous-marinier «le BS Sous-marinier » disait-on alors !

Le 2 janvier 1967, il embarque à bord du sous-marin Minerve. Le second semestre sera consacré aux travaux du premier grand carénage qui se terminent sur la période dense des essais avant le retour à l’activité opérationnelle. C’est un peu comme la reprise de l’activité à bord du Gymnote. Après tout, il n’y a pas de différence entre un bâtiment neuf et un bâtiment qui sort de grand carénage.

Les essais sont terminés suivis de la mise en condition d’un équipage jeune et de son nouveau pacha. Tourne calendrier, vient le 27 janvier ... et s’arrête la vie d’un garçon volontaire à l’avenir radieux.

Il reste dans la mémoire de l’un de ses amis comme « un camarade bien et d'une grande gentillesse qui avait la même barbe que celle du marin des cigarettes Players ».

Lors de la cérémonie du 27 janvier 2018, on évoquait qu’ « au large de Toulon, point de croix sur la tombe, mais, sur les vagues courtes ourlées de frêle écume, vous verrez coiffes blanches, en rangs bien ordonnés, qui y montent la garde, qui veillent encore pour nous ».

La Méditerranée garde, à jamais, son corps, mais ici, à Wassy, souvenir restera d’un enfant du pays qui est trop tôt parti et qui était aimé.

Dominique Salles

Contre-amiral (2s)

Amiral Dominique Salles prononçant son discours devant M. Christel Mathieu maire de Wassy et deux des petites nièces de Jacques Malarme

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